Télésurveillance & sécurite

Appareil pour enregistrer la voix : ce que dit la loi sur l’enregistrement audio dans un contexte de sécurité

Appareil pour enregistrer la voix : ce que dit la loi sur l’enregistrement audio dans un contexte de sécurité

Appareil pour enregistrer la voix : ce que dit la loi sur l’enregistrement audio dans un contexte de sécurité

Pourquoi l’enregistrement audio pose (beaucoup plus) de problèmes que la vidéo

Sur le terrain, je vois souvent la même demande : « On peut mettre un micro avec la caméra, au cas où ? ». Réflexe logique. Mais juridiquement, ce simple « au cas où » peut vous coûter très cher.

En France, l’enregistrement de la voix est beaucoup plus sensible que la vidéo. Pourquoi ? Parce que la loi assimile très vite l’audio à une atteinte à la vie privée, voire à une interception de communications.

Concrètement :

  • Une caméra sans son, bien paramétrée et déclarée, est généralement légale.
  • La même caméra avec le micro activé en continu peut devenir illégale dans de nombreux contextes.
  • Avant d’installer le moindre appareil pour enregistrer la voix dans un objectif de sécurité (télésurveillance, contrôle d’accès, vidéosurveillance…), il faut bien comprendre le cadre juridique.

    Ce que dit la loi française sur l’enregistrement de la voix

    Plusieurs textes encadrent l’enregistrement audio. Les principaux à connaître :

    Le Code pénal – atteinte à l’intimité de la vie privée

    L’article 226-1 du Code pénal punit :

    « Le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui (…) en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. »

    Traduction opérationnelle :

  • Enregistrer des conversations sans que les personnes sachent qu’elles sont enregistrées peut constituer un délit.
  • La peine encourue : jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
  • Le RGPD et la loi Informatique et Libertés – données personnelles

    Dès qu’on enregistre la voix, on traite des données personnelles :

  • La voix permet d’identifier (directement ou indirectement) une personne.
  • Le contenu de la conversation peut révéler des données sensibles (santé, opinions, situation familiale…).
  • Donc, tout dispositif d’enregistrement audio dans un contexte de sécurité doit respecter les principes du RGPD :

  • Finalité déterminée, explicite et légitime.
  • Minimisation des données (ne pas tout enregistrer « par confort »).
  • Durée de conservation limitée.
  • Information claire des personnes.
  • Sécurisation de l’accès aux enregistrements.
  • Le Code du travail – surveillance des salariés

    Dès que l’enregistrement audio concerne des salariés (commerces, centres d’appels, accueil, open space…), s’ajoute le droit du travail :

  • Information préalable et écrite des salariés et des représentants du personnel (CSE).
  • Justification par la nature de la tâche à accomplir (proportionnalité).
  • Pas de surveillance permanente et généralisée sans raison valable.
  • Résultat : en entreprise, un dispositif audio « de confort » ou « au cas où » sur un site sous vidéosurveillance est presque toujours excessif juridiquement.

    Cas typiques où l’enregistrement audio est (souvent) illégal

    Dans les audits que je réalise, je retrouve régulièrement les mêmes erreurs. Quelques exemples concrets.

    Micro actif en permanence sur une caméra de magasin

    Un commerçant installe une caméra IP avec micro intégré, au-dessus de la caisse :

  • Le son est enregistré 24h/24 avec la vidéo.
  • Aucune information spécifique sur l’enregistrement de la voix.
  • Les employés ne sont pas clairement informés que leurs échanges sont enregistrés.
  • Problème :

  • Atteinte à la vie privée des salariés et des clients.
  • Enregistrement non nécessaire à la finalité « sécurité des biens et des personnes ».
  • Risque de requalification en dispositif de surveillance des salariés non proportionné.
  • Enregistreur audio « discret » posé dans un bureau

    Un dirigeant veut « se protéger » et poser un dictaphone en mode enregistrement continu dans son bureau, ou dans la salle de pause :

  • Aucune information des personnes qui entrent.
  • Enregistrement de conversations privées ou confidentielles.
  • Là, on n’est plus dans la zone grise : on coche toutes les cases de l’article 226-1 du Code pénal. C’est typiquement le genre de dispositif attaquable pénalement.

    Micro activé sur une caméra d’immeuble ou de copropriété

    Un syndic fait installer une caméra à l’entrée de l’immeuble, micro non désactivé :

  • Les discussions entre voisins, livreurs, visiteurs sont potentiellement enregistrées.
  • Aucune utilité réelle pour la sécurité de l’immeuble.
  • La CNIL considère ce type de dispositif comme très problématique. Le simple fait de pouvoir capter des échanges privés à l’entrée d’un immeuble est en général disproportionné.

    Quand l’enregistrement audio peut être justifié en sécurité

    Heureusement, tout n’est pas interdit. Il existe des cas où l’audio est pertinent et légalement défendable, à condition de bien cadrer le dispositif.

    Interphones, contrôles d’accès et visiophones

    Là, on est dans un usage attendu :

  • Communication ponctuelle entre un visiteur et un occupant.
  • L’enregistrement n’est pas systématique, souvent inexistant.
  • La finalité est claire : permettre l’accès ou non.
  • Si en plus vous enregistrez ces échanges (par exemple dans des locaux sensibles), il faut :

  • Informer clairement les personnes qu’elles peuvent être enregistrées.
  • Limiter la durée de conservation.
  • Sécuriser l’accès aux enregistrements.
  • Centres d’appels, assistance et hotlines techniques

    Vous connaissez la phrase : « Votre conversation est susceptible d’être enregistrée pour améliorer la qualité de notre service ». Dans ce cas :

  • La base légale est l’intérêt légitime de l’entreprise (qualité, preuve des échanges).
  • Les clients sont clairement informés.
  • Le contenu des appels peut être utilisé comme preuve en cas de litige.
  • À noter : ce type d’enregistrement est déjà très encadré, et on ne parle pas exactement de « dispositif de sécurité » mais de gestion de la relation client. Les mêmes exigences de transparence s’appliquent si vous justifiez l’enregistrement par des raisons de sécurité (menaces, insultes, sécurité du personnel d’accueil).

    Télésurveillance avec levée de doute audio ciblée

    Certains systèmes d’alarme professionnels utilisent :

  • Des micros pour effectuer une levée de doute audio.
  • Des haut-parleurs pour la dissuasion (injunction vocale du télésurveilleur).
  • Bonne pratique dans ces cas-là :

  • Le micro n’est activé qu’en cas de déclenchement d’alarme.
  • Le flux audio n’est pas enregistré en permanence.
  • L’activation est limitée dans le temps, le temps de la levée de doute.
  • La CNIL admet ce type de dispositif si :

  • Les personnes sont informées (autocollants, mentions contractuelles).
  • Le son n’est pas utilisé pour écouter en continu des conversations privées.
  • La levée de doute audio est proportionnée au risque (sites sensibles, zones à risque).
  • Faut-il activer le micro de vos caméras de surveillance ?

    Question que je reçois très souvent lors d’installations chez des particuliers et des professionnels.

    Chez un particulier (résidence principale ou secondaire)

    Imaginons une caméra intérieure avec micro en salon :

  • Vous enregistrez potentiellement les conversations de vos proches, amis, invités.
  • Personne n’a vraiment conscience du fait d’être enregistré.
  • Même à domicile, le Code pénal s’applique si vous enregistrez des tiers à leur insu. Le risque :

  • Conflit familial, séparation, procédure judiciaire où ces enregistrements sont mis en avant.
  • Enregistrements souvent irrecevables comme preuve et potentiellement répréhensibles pour celui qui les a réalisés.
  • Recommandation en pratique :

  • Déactiver le micro par défaut sur les caméras intérieures.
  • Limiter la vidéo aux seules zones nécessaires (entrées, pièces de passage, abords extérieurs).
  • Dans un commerce ou des bureaux

    Sur un site professionnel, activer l’audio en continu sur les caméras qui filment :

  • Le personnel en caisse.
  • Les bureaux.
  • Les zones d’accueil.
  • … est très rarement justifiable, même au nom de la sécurité.

    Pour la grande majorité des commerces et TPE/PME, les bonnes pratiques sont claires :

  • Caméras sans enregistrement audio.
  • Micro désactivé dans la configuration des caméras et des enregistreurs NVR.
  • Pas de dictaphones ou d’enregistrements cachés.
  • Enregistrement audio et RGPD : les points à ne pas rater

    Si malgré tout, votre analyse de risques vous conduit à intégrer un enregistrement audio dans votre dispositif de sécurité, voici ce que vous devez impérativement cadrer.

    Clarifier la finalité, et la justifier

    Vous devez être capable d’expliquer simplement :

  • Pourquoi l’audio est nécessaire, là où la seule vidéo ne suffirait pas.
  • Quel problème précis vous cherchez à résoudre.
  • Pourquoi cette mesure ne va pas « trop loin » par rapport au risque.
  • Si la réponse est « ça peut servir » ou « au cas où », c’est insuffisant.

    Limiter la collecte au strict nécessaire

  • Pas d’enregistrement audio 24h/24 si quelques minutes ponctuelles suffisent.
  • Pas d’écoute sur des zones où il n’y a pas d’enjeu de sécurité (salle de pause, sanitaires, bureaux individuels…).
  • Activation conditionnelle (déclenchement d’alarme, appui sur un bouton d’urgence…).
  • Informer clairement les personnes

    L’information doit être :

  • Visible (pictogrammes, affiches, mentions près des caméras et micros).
  • Compréhensible (pas de jargon juridique uniquement, expliquer en français courant).
  • Complète sur les points suivants :
  • Qui est le responsable du traitement.
  • Finalité : sécurité, levée de doute, preuve en cas d’incident.
  • Durée de conservation des enregistrements.
  • Accès possibles (qui peut écouter / visionner ?).
  • Modalités d’exercice des droits (accès, effacement, etc.).
  • Sécuriser et limiter l’accès aux enregistrements

    En pratique :

  • Accès réservé à un nombre très limité de personnes dûment habilitées.
  • Traçabilité des consultations d’enregistrements.
  • Pas de diffusion sonore ou de partage via des canaux non sécurisés (Wi-Fi ouvert, liens non protégés…).
  • Différence entre captation en direct et enregistrement

    Un point souvent mal compris sur le terrain : regarder et écouter en direct n’est pas la même chose, juridiquement, qu’enregistrer.

    Dans un centre de télésurveillance, par exemple :

  • Visionnage en temps réel d’une caméra, sans enregistrement audio, pour lever un doute : moins risqué juridiquement.
  • Activation ponctuelle du micro pour quelques secondes, sans conservation, uniquement pendant la levée de doute : à encadrer, mais défendable.
  • Enregistrement permanent du son et archivage des conversations : bien plus problématique.
  • Si vous tenez vraiment à bénéficier de l’audio, privilégiez :

  • L’écoute ponctuelle, sans enregistrement systématique.
  • Des procédures claires d’activation (journalisation de l’heure, du motif, du déclenchement).
  • Comment paramétrer vos systèmes pour rester dans les clous

    Sur la plupart des systèmes de vidéosurveillance et d’alarme actuels, l’audio est activable ou non. Concrètement, voilà comment procéder.

    Sur les caméras IP et NVR

  • Accédez à l’interface de chaque caméra.
  • Dans la section « Audio » ou « Vidéo & Audio », désactivez l’entrée micro.
  • Sur l’enregistreur (NVR ou DVR), vérifiez que :
  • Les flux enregistrés sont bien « vidéo seule ».
  • Aucun canal audio n’est enregistré par défaut.
  • Si un micro est requis (par exemple pour un interphone vidéo) :
  • Limitez-le à cette seule caméra.
  • Configurez l’enregistrement audio uniquement lors de certains événements (appel, alarme, etc.).
  • Sur les systèmes d’alarme avec levée de doute audio

  • Paramétrez l’activation du micro uniquement en cas de déclenchement d’alarme.
  • Limitez la durée d’écoute (par exemple, 30 secondes à 1 minute renouvelable sur action explicite de l’opérateur).
  • Documentez dans le contrat de télésurveillance :
  • Les conditions d’activation de l’écoute.
  • L’absence d’enregistrement permanent.
  • L’usage exclusif à la levée de doute.
  • Que risquez-vous en cas de non-respect de la loi ?

    Au-delà de la théorie, parlons risques concrets.

    Sanctions pénales

  • Jusqu’à 1 an de prison et 45 000 € d’amende pour atteinte à l’intimité de la vie privée (article 226-1 du Code pénal).
  • Des peines complémentaires possibles (confiscation du matériel ayant servi à l’infraction, par exemple).
  • Sanctions administratives (CNIL)

  • Contrôle de la CNIL suite à une plainte d’employé, de client ou de voisin.
  • Injonction de mise en conformité, voire interdiction du dispositif.
  • Amende administrative pouvant aller très loin pour les entreprises (plafonds RGPD).
  • Risques sociaux et réputationnels

  • Perte de confiance des salariés (« on est écoutés en permanence »).
  • Tensions en comité social et économique.
  • Mauvaise image vis-à-vis des clients si le sujet sort publiquement.
  • Checklist pratique avant d’installer un appareil pour enregistrer la voix

    Pour finir, voici une grille de vérification simple à utiliser avant de déployer ou d’activer un dispositif audio dans un contexte de sécurité.

  • Le micro est-il réellement nécessaire à la sécurité, ou est-ce juste « au cas où » ?
  • La situation pourrait-elle être gérée avec la vidéo seule, une alarme, ou un contrôle d’accès renforcé ?
  • Les zones couvertes risquent-elles d’inclure des conversations privées (bureaux, salle de pause, domicile…) ?
  • Les personnes concernées (salariés, visiteurs, clients, résidents) seront-elles clairement informées de la présence d’un enregistrement audio ?
  • Le dispositif peut-il fonctionner en mode ponctuel (levée de doute limitée dans le temps) plutôt qu’en enregistrement permanent ?
  • La durée de conservation des enregistrements audio est-elle définie et limitée ?
  • Qui, très concrètement, aura accès aux enregistrements, et comment ces accès seront-ils tracés ?
  • Le paramétrage du matériel (caméras, NVR, centrale d’alarme) a-t-il été vérifié pour désactiver l’audio là où il n’est pas nécessaire ?
  • Les obligations en matière d’information des salariés, du CSE, des clients et visiteurs ont-elles été respectées ?
  • Un avis juridique ou un échange avec votre DPO / référent RGPD a-t-il été obtenu pour les cas sensibles ?
  • Dans 80 % des configurations que je rencontre, la meilleure décision est très simple : désactiver complètement l’enregistrement audio et s’appuyer sur une bonne combinaison vidéo + détection d’intrusion + contrôle d’accès + procédures. C’est plus propre juridiquement, plus acceptable socialement, et tout aussi efficace en sécurité lorsque le système est bien pensé.

    Quitter la version mobile